SENEGAL : Une révolution en marche.
Aujourd’hui que les sénégalais dans leur immense majorité s’accordent sur la nécessité d’en finir avec le régime d’Abdoulaye Wade, de liquider toute possibilité de dévolution monarchique du pouvoir et d’aller vers une nouvelle république, la question du contenu et de la forme des nouvelles institutions de gouvernance démocratique à instaurer doivent faire l’objet de débats au sein du peuple. Il en va de même de la transition nécessaire pour organiser de la meilleure manière le passage de l’ancien au nouveau système à instaurer, de l’équipe qui doit la conduire et plus prés de nous de la question de la présidentielle de 2012 et du type de candidat pour battre Wade.
Donc un débat éminemment politique mais qui est, il ne faut surtout pas l’oublier déterminé par la conception idéologique portée par chaque point de vue. C’est pourquoi il m’a paru important d’indiquer tout de suite que mon point de départ est que la crise que les uns et les autres s’évertuent à mettre en exergue, constitue un aspect de la situation révolutionnaire qui se développe dans notre pays. : la maturation des conditions subjectives perceptible dans le refus des citoyens d’être dirigés comme avant.
« Le temps n’est plus à la manifestation bon enfant, c’est l’indignation et la révolte. Dans les slogans, il est désormais question du départ du chef de l’Etat. La menace de sanction électorale est tout naturellement brandie. Le mouvement est entrain de devenir politique et doit être analysé comme tel. Il a une justification, une capacité de mobilisation et un objectif » observe Mame Less Camara analyste politique (Pop du 08/10/10).
Ce mouvement est la manifestation de la révolution citoyenne en cours qui a déjà choisi sa couleur : elle n’est ni verte ni orange mais rouge couleur des brassards, rouge couleur du sang du citoyen déjà versé à Kédougou et Pikine.
Ensuite il m’apparait que ce mouvement n’est ni encore homogène, ni coordonné ni dirigé par un quelconque parti ou organisation de quelque classe ou nature que ce soit. Par contre on y trouve le citoyen comme acteur principal à la manière dont il le fut lors de l’insurrection de la Commune de Paris. Mais si à l’époque le combat citoyen pour un nouvel ordre avait permis à Marx et Engels de trouver la réponse à la question de savoir quel pouvoir à la place de la dictature de la bourgeoisie, nous pensons pour ce qui nous concerne ici au Sénégal au 21iéme siècle que la réponse apportée par la révolution citoyenne est le caractère démocratique des nouvelles institutions à instaurer, à la gouvernance à mettre en œuvre et enfin à placer le citoyen au cœur du nouveau système.
L’objet de cette contribution traduit une volonté de clarifier sous quel angle nous aborderons les questions ci-dessus et d’autres en débat sur le rapport des Assises Nationales, la charte de bonne gouvernance et au sein de Benno : Elle s’articule autour des points suivants :
1°) De la révolution citoyenne
2°) De la Nouvelle République sous le rapport de la révolution en cours avec un rôle prépondérant du citoyen dans la lutte contre la dévolution monarchique du pouvoir pour une démocratie républicaine.
3°) De la transition indispensable pour le passage du système pourri de Wade aux nouvelles institutions avec les questions liées au profil du candidat et de l’équipe qui l’accompagne dans sa tâche.
4°) De Benno et du large front qui doit porter toute cette lutte.
La Révolution
Si Mars 2000 a donné au citoyen la conviction que la carte d’électeur pouvait permettre de renverser un régime anti-démocratique de quarante ans, Mars 2009 lui a donné l’occasion d’administrer un cinglant camouflet au régime libéral wadiste après neuf longues années marquées par la gabegie, la concussion, la corruption, le népotisme et l’impunité.
Si de nombreux Sénégalais ont été déçus par l’alternance, c’est qu’ils ont constaté que le changement tant espéré ne se réalisait pas et que le SOPI n’était qu’un leurre entre les mains du monarque WADE. Pourtant cet ardent désir de changement est toujours d’actualité mais, cette fois il est porté par une forme de révolution jusque là inconnue dans notre pays et qui se développe dans tous les secteurs de la vie nationale : une révolution citoyenne républicaine
Du caractère Citoyen de la Révolution
Les citoyens expriment de mille manières, dans les villes comme dans les campagnes, leur refus d’être dirigés comme par le passé. Le PS ne l'avait pas compris et cela causa sa perte. Mars 2000 devait constituer l’amorce à l’édification d’un système nouveau démocratique tout le contraire de ce que Abdoulaye Wade a mis en œuvre neuf années durant : le mandat qui devait être somme toute une transition vers une république démocratique fut celui du renforcement du présidentialisme néocolonial à la sauce libérale avec la généralisation de l’affairisme d’Etat, la corruption, l’impunité la plus abjecte. Et pour couronner le tout Wade, conscient depuis Février 2007, que la révolte gronde de partout et que la sanction qui l’attend ne se traduira pas seulement par le renversement de son régime libéral pourri, s’attèle à expérimenter une dévolution monarchique du pouvoir à son fils afin d’assurer ses arrières et éviter de devoir rendre gorge. Peine perdue.
Car aujourd’hui, du citoyen résigné que les politiciens manipulaient à volonté, a succédé un citoyen conscient, responsable et engagé dans la voie de transformation individuelle et collective pour l'émergence d'une gouvernance démocratique et l’instauration d’une nouvelle république. La religion ne peut plus servir de voile pour brouiller la conscience des populations qui se sont appropriées ce verset du Qur'aan :« Allah ne modifie point l’état d’un peuple tant que [les individus qui le composent] ne modifient pas ce qui est en eux. »S.13 V. 11.
Ainsi faut-il comprendre le sens des manifestations de rejet du régime libéral wadien déferlant des hameaux les plus reculés aux grands centres urbains (Dakar, Thiès, St-Louis, etc.) en passant par les cités religieuses donnant l’occasion aux citoyens d’exprimer leur colère par des brassards rouges et des marches pacifiques dont certaines violemment réprimées avec mort d’hommes, notamment à Kédougou et Pikine.
C’est cela la marque d’une révolution en cours et elle a pris la forme d’une révolution citoyenne et elle ne pourra ni être divertie ni être dévoyée parce qu'elle est le résultat d’une prise de conscience citoyenne qui a tiré les leçons de Mars 2000 articulées à celles du coup fourré de Février 2007. Pour preuve, malgré les menaces et autres manœuvres de déstabilisation du régime libéral, les conditions de la jonction des forces politiques et citoyennes ont pu être réunies et ont permis la convocation et la tenue des Assises Nationales d’une part, de l'autre la mise en place de la grande coalition Bennoo Siggil Sénégal qui a infligé au régime libéral de Wade la retentissante raclée de Mars 2009.
Du caractère Républicain de la Révolution
C’est encore cette révolution citoyenne qui a exprimé de façon éclatante le rejet par le peuple sénégalais de la volonté d’Abdoulaye Wade et son régime libéral pourri d’instaurer la monarchie au Sénégal. En cela cette révolution citoyenne a également un caractère républicain.
On peut considérer que la lutte pour l’alternance avait impliqué le mouvement citoyen, qui s’exprimait essentiellement à travers des structures telles que les ONG, les ASC, les mutuelles, les syndicats autonomes mais également la presse privée etc. Et la finalité de la lutte pour l’alternance s’articulait autour de deux grandes revendications : la satisfaction de la ‘demande sociale’ et le départ de Diouf tandis que la nature du pouvoir à instaurer et son mode de gestion passait nettement au second plan. Quand bien même les partis regroupés dans le pôle de gauche ont fait référence à un régime parlementaire, nulle part cela n’a fait l’objet d’un débat approfondi débouchant sur sa déclinaison claire et nette avec ses garde- fous et autres contre-pouvoirs pour empêcher toute possibilité de dévoiement.
Ainsi depuis Mars 2000, un nouveau cycle a vu le jour avec d'une part la volonté affichée dés 2001 par Wade de renforcer les pouvoirs déjà exorbitants du Président de la République à travers le référendum pour une nouvelle constitution. De l’autre l’exercice solitaire et patrimonial du pouvoir qui permit à Wade de se séparer sans état d’âme de ses principaux alliés et souteneurs et de se donner les coudées franches pour dévoiler enfin le visage hideux du libéralisme qu'il cachait aux sénégalais: enrichissement illicite supersonique, boulimie et spéculation foncières, liquidation des sociétés nationales et enfin manœuvres pour la dévolution monarchique du pouvoir au profit du fiston !
Mais ce nouveau cycle a également révélé le caractère culturel de la révolution citoyenne qui, de ce fait et à l'instar de la révolution culturelle prolétarienne, s'assimile à une révolution politique qui touche l’homme dans ce qu’il a de plus profond. Et pour ce qui concerne notre pays, à ce moment précis de notre histoire le citoyen lambda a pris conscience qu’il ne peut plus être gouverné par ceux qui en ont la charge aujourd’hui et qu’il faut changer cette situation .
Le citoyen ne veut plus d’un Président-Buur, omnipotent et omniscient à l’image de Dieu.
Le citoyen n’a que faire d’un gouvernement-Nguur,
Le citoyen n'accepte plus un Parlement-Dagi Buur.
Dans ce système libéral où tout appartient à Buur-Président , la République, de chose-publique est devenue Alalu-Buur ;alors Buur d'en disposer à sa guise et tout naturellement décide d'en faire une monarchie qu’il doit léguer à son fils !
Inacceptable pour le citoyen. Et la résistance s’est organisée, la révolte a éclaté et la révolution a pris corps. Le port du brassard rouge est la hantise des responsables libéraux dans leurs déplacements à travers le pays. Les manifestations violentes éclatent à Matam, à Kédougou puis Pikine, comme pour relayer Dakar où, cependant les ambulants vont remettre au goût du jour les émeutes mémorables de 88. Et ce n’est pas fini, car au moment où le pouvoir cherche une issue aux événements de Vélingara, voilà que Sedhiou s’embrase ! Pour quand et où le prochain foyer ? Allah seul sait.
Au plan politique, le boycott des législatives de février 2007 fut une manifestation notable de la défiance politique à l’encontre du régime libéral wadien et la lutte pour l’unité de l’opposition en direction des élections locales de 2009 a donné naissance à deux coalitions : le Front Siggil Sénégal et l’Initiative Citoyenne pour la République / Benno qui ont scellé leur unité d’action dans le cadre de Benno Siggil Senegal. Cette coalition, en battant à plate couture Buur, Doomi Buur et leurs Dag dans l’essentiel des collectivités locales a gravement compromis le projet de dévolution monarchique du pouvoir au Sénégal. Mais vigilance, rien n'est gagné d'avance, le plus dur est devant.
L’autre fait majeur de cette défiance politique et civile demeure la tenue des Assises Nationales organisées par un engagement sans faille et une mobilisation exceptionnelle de millions de citoyens sénégalais qui ,dans une « dynamique non partisane et constructive » à travers des « consultations citoyennes », ont œuvré à l’élaboration « d’une vision’ nouvelle pour le Sénégal, à la ‘définition des valeurs et principes qui doivent guider la reconstruction nationale et le renforcement de la République. »
De la Nouvelle République
Mais entendons bien. Il ne s’agit point de renforcement de la République sauce libérale sous la coupe de Wade et Cie, que non. Ce qui est posé aujourd’hui c’est la rupture avec cette république monarchique wadienne pour l’émergence d’une nouvelle république citoyenne et démocratique pour non seulement en finir avec le projet monarchiste de Wade mais également rompre avec les républiques de type ancien, néocolonial et présidentialiste que nous avons connues de 1963 à 2000.
C’est là la tâche principale de la révolution citoyenne républicaine en cours et dont la force motrice est constituée par le large front politique citoyen et populaire dont les premières victoires ont été les Assises Nationales, Bennoo et Mars 2009. Cette dynamique doit être organisée renforcée et entretenue jusqu’au bout c'est-à-dire l’instauration de cette nouvelle République citoyenne démocratique et populaire au service du citoyen et non plus à la merci de messies marchands d’illusions et de pouvoiristes chasseurs de butins. C'est possible au regard de la réalité et de la configuration du nouveau mouvement citoyen composé de jeunes, de femmes, de paysans, d’ouvriers, d’artisans, d’étudiants mais aussi dorénavant de capitaines d’industries, d’artistes de renom, de grands dirigeants sportifs qui chacun dans leur domaine résistent et marquent leur refus de cautionner les lubies monarchistes wadiennes.
Le citoyen est conscient qu’aujourd’hui avec sa carte d’électeur il peut changer la donne ; il ne ‘demande’ plus qu’on l’aide, mais exige le respect des engagements pris par les dirigeants quitte à aller jusqu’à la confrontation. Cette nouvelle citoyenneté ne se suffit plus de la ‘satisfaction de la demande sociale’, elle pose la nécessité de rendre compte et de sanctionner.
Le citoyen de type nouveau dans la nouvelle république ne pourra plus se contenter d’élire des représentants à qui il délègue un pouvoir qui de fait ne lui appartient pas en tant que simple électeur. Dans la République citoyenne et démocratique, le citoyen détient une parcelle de pouvoir qu’il met en association avec celles de ses compatriotes citoyens pour constituer le pouvoir citoyen populaire qui est sous leur contrôle .Et ce n'est pas tout, ils se dotent des moyens de retirer ce pouvoir en cas de nécessité : c’est l'innovation majeure du nouveau système : de simple détenteur de bulletin de vote pour élire , le citoyen nouveau devient détenteur du pouvoir de révoquer l’élu.
Jusqu’à nos jours ‘Le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple’ a été totalement vidé de son sens car de fait il s’agit du ‘pouvoir des représentants, par les représentants, pour les représentants’ : le peuple ne servant que de faire-valoir est en réalité, comme le citoyen qui était électeur-spectateur, le dindon de la farce. La révolution républicaine a pour objectif entre autres de changer cet état de fait en consacrant le statut du citoyen détenteur de pouvoir de révocation. La superstructure en charge de ce pouvoir est la nouvelle république citoyenne qui n’est plus une ‘chose publique-alalu buur’ mais ‘un bien’ du peuple citoyen ‘momeelu askan’ en tant que mutualisation du ‘bien’ de tous les citoyens. Ainsi chacun est concerné par la gestion du ‘bien public’ pour le ‘bien public’et alors :
Lu askan wi moom, kenn du ca def lula neex
Ku nekk sàmm ko daf lay war
Aar ko daf lay war
Yaxanal ko daf lay war
Dans cette nouvelle république citoyenne qui prend un caractère social :
le Président =Njiitu Askan la du Buur.
Le gouvernement = Kurelu jawriñ yi la du nguur
Parlement = Pencu Askan wi la du dag yi
République = Repibilig askan wi la du alalu buur
Enfin dans cette nouvelle République la Constitution ne se limitera plus entre autres à traiter de l’éligibilité et de l’inéligibilité des candidats mais aussi et surtout de leur révocabilité. Ainsi nul ne sera au dessus de la loi et l’impunité ne saurait prospérer car du Président de la République au dernier fonctionnaire, du Président du Parlement au dernier élu, tout détenteur de pouvoir peut être révoqué en cas de manquement passible de cette sanction.
Ces transformations sont le fruit de la Révolution Culturelle Citoyenne Républicaine que vit notre peuple de façon peut être diffuse voire confuse et c’est admis que tout ne se réalisera pas en un tour de main. D’où la nécessité d’une période de transition pour nettoyer les écuries d’Augias, installer les nouvelles institutions et engager la mise en œuvre des consensus issus des Assises Nationales, des séminaires de Bennoo, du comité de suivi et des autres dynamiques axées sur la recherche de voies et moyens pour abréger les souffrances des populations d’ici 2012 et s’atteler à reconstruire notre pays.
A suivre…..
Bougouma MBAYE
Secrétaire général du département de Pikine
Membre du bureau politique chargé du financement de l’AJ/PADS